La nuit venait de tomber sur Gotham. Les premières sirènes résonnaient déjà dans la ville du crime, agitant les radars de la GCPD. Tu n’avais nul besoin d’observer ce qu’il se passait par la fenêtre de ton appartement, tu savais déjà tout. Cette ville, tu la connaissais par cœur. Presque aussi bien qu’elle te connaissait, malgré ton absence. Selina Kyle s’était volatilisée ; cela faisait des mois que tu n’avais pas mis les pieds aux dîners de charité, destinés pour la plupart à reconstruire la ville. Tu n’étais plus qu’une signature, un nom sur un papier. Tu avais disparu, comme un souvenir que l’on voulait effacer. Tes souvenirs à toi ne s’effaçaient pas ; dieu sait que c’était ce que tu voulais le plus au monde. Effacer l’image de Maggie, celle de son mari, celle d’Holly. Faire de cette mésaventure un cauchemar duquel tu te serais réveillée. Oh, comme tu l’avais souhaité. Comme tu aurais été heureuse, si tout ça n’était pas arrivé. Rien n’avait pu soulager ta conscience ; pas même la mort de Black Mask. Pas ses supplications avant que tu écrases sa main, pas son corps qui dévale les étages. Rien. Pas même tes escapades nocturnes. Tu prenais soin de te pas t’attarder, de fuir les costumes. Plus rien ne t’amusait. Voler pour survivre, pour l’orphelinat, les animaux, pour Maggie et Holly, et c’était tout. Plus rien ne comptait d’autre. Tu t’étais coupée du monde, fuyant même celui qui te sortait de tes tourmentes. Bruce. Tout était devenu trop complexe, trop sombre, trop lourd. Tu te rattachais à son souvenir pour te sentir en vie, comme si on te l'avait arraché, lui aussi. Peut-être que tu te préparais à sa perte, peut-être que tu voulais souffrir pour ton crime. Terminés, les escapades sur les toits, les baisers cachés, les réprimandes qui reviennent, les nuits dans la BatCave. Bruce, Bruce, Bruce, comme une comptine. Son absence t'avait creusé un trou béant dans le cœur, dans le ventre. Tu ignorais s’il savait, pour Black Mask. S’il savait que tu avais enfreint la seule règle que tu t’étais toujours donnée. S’il savait qu’il avait fait vivre l’enfer à ta sœur, s’il savait que tu l’avais tué de sang-froid. S’il savait que tu ne regrettais rien. Ça tournait dans ta tête comme un mauvais film, trop rouge, trop fort. Ça martelait ton esprit, comme si on tenait ta tête sous l’eau depuis trop longtemps. Tu n'avais pas le courage d'imaginer son regard sur toi, déçu, amer. Il te détesterait, tu le savais. Bruce ne pardonnait jamais réellement, il n'oubliait rien; et tu avais franchi la limite. Ta vue se brouille d'un coup, tu essuies les larmes rapidement avant qu'elles ne s'écrasent sur le carrelage froid. Tu n'arrivais pas à te l'admettre, mais ça te crevait le cœur; tu avais peur qu'il t'abandonne, et ça te tuait à petit feu.

Respirer. Tu devais sortir, vite. Tu manquais d'air, tu peinais à respirer. Cette putain de spirale dans laquelle tu t'étais enfermée ne te laissait aucun répit, et tu faiblissais chaque fois un peu plus. You're fucked up, Sel. Tu avais fini par allumer la petite radio piratée sur l’antenne de la GCPD pour savoir où le butin serait le plus intéressant. « Cobblepot is about to attack a jewerly. His men had been seen with guns and trucks. » Il était plus facile de laisser les autres faire le boulot à ta place, tu te contentais de récupérer le trésor. Tu savais que tu avais plus de chance d’éviter la Batfamily de cette façon. Le t-shirt sur tes épaules avait glissé sur le sol, avant que ta peau nue se love dans ta combinaison de cuir. Respirer. Le fouet noué à ta taille, tu ajustais tes lunettes dans les morceaux de miroir qui avaient survécu à ta rage ; tes poings avaient finis par corriger le reflet de cette image que tu ne voulais plus voir. Les ondes de la GCPD n’avaient pas menti : perchée sur un toit, ne faisant qu’un avec l’obscurité, tu observais les hommes du Pingouin s’agiter. Un, deux, trois, quatre… Facile. Cinq. Cinq lourdauds peu armés, tu savais que ce serait un jeu d’enfant. Mais tes yeux cherchaient l’information principale : le butin. C’était la seule chose qui t’intéressait. Bientôt, le scintillement des pierres. Ça t’avait décroché un petit sourire, le premier depuis un long moment. Mommy's here. Des rivières de diamants ; il ne t’en avait pas fallu plus pour glisser le long du toit. Quelques pas agiles, une pirouette, et tu tombais sur les épaules d’un gorille qui avait eu le malheur de s’isoler. Moins un. Tu avançais doucement, tapie dans l’ombre, à la recherche de ta prochaine victime. La discrétion t’assurait de ne pas attirer l’attention sur ce secteur, d’être plus rapide, plus efficace : tu savais qu’un justicier pouvait avoir eu la même information que toi sur le braquage. Une autre âme malheureuse avait croisé ta route, se faisant neutraliser rapidement. Bingo. Ton sourire s’élargit lorsque tu vois les clés de la voiture cachées au creux de sa main. Ces idiots sont déjà repartis à l’intérieur pour faire les fonds de tiroir, laissant la surveillance de la fourgonnette noire aux deux malfrats qui se tordaient de douleur sur le sol. Open buffet for Miss Selina Kyle. Tu n’avais plus qu’à te servir. Le trophée glissé dans un sac, tu étais repartie aussi rapidement que tu étais arrivée. Et du toit, tu savourais leur panique : « Fuck ! We're screwed man ! » Tu lèves un sourcil, satisfaite de ton exploit. « The Irish man...His face...Fuck, she's here ! The fucking Cat! »  Il fallait bien laisser une trace, mettre en garde le Pingouin. Time to go home, Miss Kyle. Mission accomplished. Tu quittes la scène lamentable qui se déroule sous tes yeux pour rejoindre le toit voisin, chemin le plus court pour retrouver ton cocon.



Et puis tu aperçois une silhouette, dans un éclat de lumière. Elle est là, immobile, géante. Fuck. Tu grimaces à travers tes lunettes, tu te sais prise au piège. Tu tournes les talons rapidement, sondes les alentours. Not now, not now. Tu accélères le pas, tes perles cherchent une solution de secours. En bas, les hommes du Pingouin rêvent de t'attraper ; mais c’est la seule issue. Better them than him., tu te martèles l’esprit pour t’en persuader. Machinalement, tu glisses ton butin à ta ceinture pour avoir les mains libres. Contre les malfrats ou contre le justicier, tu sais qu’il faudra jouer de tes griffes et de ton fouet pour te sortir de cette impasse. Tes pas accélèrent, encore ; jusqu’au bord du gouffre. Le prochain toit est inaccessible, aucun rebord pour te rattraper. Tu ne peux pas risquer la chute; personne ne te rattrapera, et tu serais à la merci des gorilles du Pingouin. Il faut longer l’immeuble sous tes pieds. Holy shit Sel, what the fuck are you doing. Ton corps te crie de faire demi-tour et d'aller retrouver la chaleur de ses bras. Loin, les nuits passionnées, les nombreux baisers, les réveils dans les draps de satin. Loin, trop loin, presque flou. Ta peau te commande de se coller à la sienne, ton esprit de s'accorder un peu de repos à ses côtés. Et puis tu te rappelles; tu rappelles les mots de Black Mask, te promettant de tuer tous tes proches. Un énième sacrifice, nécessaire si tu voulais l'assurance de protéger les tiens à ta façon. Ta tête pivote suffisamment pour jeter un coup d’œil par-dessus ton épaule, il est encore là. Tu sautes sur la première plateforme en contre-bas, forcée à recommencer le chemin que tu avais fait quelques minutes plus tôt. Better them than him. T’essaies de t’en convaincre, t’y crois dur comme fer. Depuis combien de temps évites-tu Bruce ? Des jours, des semaines, des mois. Et déjà, un plan se profile dans ta tête ; jouer sur la surprise, sur le chaos que les hommes de main du Pingouin vont créer pour pouvoir t’en sortir. « She's here ! » Un coup de feu part, tu l’évites de peu en te baissant. Fuck! Tu te jettes sur le tireur, cherchant à le désarmer à tout prix. Un second coup de feu. T’avais mal calculé ton coup, il y avait plus d’armes que prévu. « Catch this bitch ! » Tu joues de tes griffes, de figures, avant de dégainer ton fouet. L’agitation ne t’amuse même pas ; tu te sais en mauvaise posture, malgré les coups violents que tu assènes autour de toi. « My face ! She scratched my face! » Tu cherches à sortir de ce bourbier, mais tu sais que le Chevalier Noir n’est pas loin. Chaque porte de sortie semble être une embuscade ; Bruce te connaît par cœur, il devine chacun de tes mouvements. Devinait. Tes pensées s'emmêlent, s'embrument. Tu dois partir, te sortir de là. « I got her ! » Ton corps se contorsionne pour échapper à la prise du malfrat, avant que ta main le frappe de tes griffes de cristal. Tu fronces les sourcils, gênée par le sang qui tâche tes lunettes nocturnes. Tu t'agaces, et tu ne vois pas la batte de baseball vient s’écraser sur tes reins, déséquilibrant ton prochain mouvement. Tu trébuches, mais tu sais qu’il faut rapidement te relever si tu ne veux pas crever ici. Les hommes du Pingouin semblent décidés à ramener ton cadavre à leur boss et tu sais que le Chevalier Noir ne t'épargnera pas. Ton cœur s'emballe, alors qu'un second coup te met à terre. Et dans ton esprit, toujours cette même rengaine : better them than Bruce.

I wanna love you but my hands are tied, I wanna stay here but I've been denied, let's watch the clock until the morning sun does rise

Pando

Les choses ne s’étaient pas déroulées comme le plan que tu avais dressé dans ta tête. Tout s’était emmêlé, brouillé, par sa simple présence. T’avais fini par te demander s’il faisait-il aussi cet effet-là sur ces ennemis, trahissant toute la confiance qu’ils avaient en eux. Mais eux n’avaient pas cette étincelle, ce feu qui les dévorait de l’intérieur. Eux n’avaient pas connu la passion, la violence, le rejet et l’amour inconditionnel de votre relation. Les hauts, les bas, et toutes ces choses qui faisaient que tu étais incapable de l’abandonner. Bruce avait été un phare dans ta vie beaucoup trop sombre. Si tu étais construite de malheurs, il avait su panser certaines plaies et modelé ton alter-ego. Bruce t’avait probablement sauvé la vie, t’avait rendue meilleure. T’avais tout foutu en l’air par vengeance, parce que Black Mask avait tout fait voler en éclats. Et le jour que tu redoutais tant était arrivé ; le titan était juste là, à quelques mètres de toi.    

La violence du choc t’avait coupé le souffle. Tu grimaces, serres les poings. Get up, Sel. Tu sais que les coups vont continuer de pleuvoir sur toi ; tu essaies de traîner ta carcasse un peu plus loin, avant que la batte ne s’abatte encore sur toi. Mais rien ; juste le fracas du bois, des cris de douleur des pions de Cobblepot. « He’s here ! Catch him ! » Bruce. Tu grimaces, imagines déjà ce qu’il t’attend. Et puis un batarang s’échoue à tes côtés, faisant voler une arme. T’as juste le temps de rouler ton corps un peu plus loin, avant de profiter pour attraper la cheville d’un gorille pour le faire tomber à terre. « Who’s the bitch now, huh ? » Tu n’avais pas même pas eu besoin de te relever ; un coup de coude avait suffi pour le neutraliser. Fuir. Il fallait profiter de la situation pour fuir, mais le silence qui s’était installé brusquement te soufflait qu’il était déjà trop tard. Son intervention t’avait permis au moins permis de retrouver un peu d'air pendant quelques minutes. Pourtant, tes poumons brûlaient ; tu manquais d’oxygène, comme si tu avais un sac sur la tête. Il est là, le Chevalier Noir. Ton cœur bat à ton rompre, comme s’il voulait s’échapper de ta poitrine. Un millier de sensation envahit ton corps, ton esprit. Bientôt, les lourdes bottes ne sont plus qu’à quelques centimètres de ton visage. « Are you alright? » Elle t’électrise, sa voix. Tu pousses un soupir, étrange mélange de soulagement, d'agacement et de remords. Tu t’es bêtement fait attraper, parce que plus rien n’avait d’importance ; you don’t mean anything at all to him. Tu fixes la main gantée, tu hésites. Longuement. « I’m perfectly fine. » La fierté te bouffe, alors que tu crèves d’envie de la saisir, cette main. Retrouver la chaleur de ses bras, la puissance de ses baisers. T’avais préféré te servir de la force de tes bras pour te redresser, laissant la main du titan de Gotham froide. On t’avait privé de chaleur depuis trop longtemps, tu avais peur de te brûler. T’étais finalement debout, à quelques centimètres de lui.


Lui, gigantesque. Et toi qui lui faisais face. Tu avais voulu reculer, d’un pas seulement, mais ça t’arrache un gémissement de douleur. Tes perles vertes se dirigent vers ta cuisse droite, alors que ton corps trébuche vers celui de ton amant. Comme un vieux réflexe, parce qu'il te rattrapait. Toujours. Tes mains attrapent ses avant-bras pour trouver un équilibre, et ce geste naturel ne semble pas te perturber. T'es trop concentrée sur la douleur lancinante, ça te brouille l'esprit. « …Damn. » Un morceau de verre était venu se loger dans ta cuisse. « Perfect. Just what I needed. » Tu soupires de rage, te sens prise au piège. Dammit Sel, you’re such a fool. Tu devais te rendre à l’évidence ; la fuite ne mènerait à rien. Tu pouvais courir quelques mètres, au mieux rejoindre l’immeuble voisin pour t’y cacher. Mais tu savais que tes efforts seraient vains, et que le Chevalier Noir te retrouverait sans mal en quelques minutes. « I’m screwed, Bat. Congrats, you catch all the bad guys tonight. » L’amertume dans ta voix est à peine dissimulée. D’une main, tu arraches l’éclat logé dans ta chaire, non sans douleur. T’essaies de te rassurer en voyant le sang couler doucement le long de ta cuisse, excluant une blessure trop profonde. Could be worst… Tu relèves finalement tes lunettes sur ton front, avant d’essuyer d’un revers de main le sang sur ton visage mis à nu. Entre vous, il n’y a presque plus de barrière, presque plus d’armure. Il ne reste que le costume pour te donner un semblant de courage. Tu plantes non sans mal tes yeux dans les siens, ta main toujours fermement agrippée à son bras. « What now? » Tu ne brises pas le contact. Tu essaies de trouver un semblant d’émotion, une étincelle dans son regard. T’es déjà foutue, de toute façon. Comme une biche prise au piège, incapable de t’échapper. « Are you going to take me to the GCPD? Arkham ? Or maybe you’re waiting for Cobblepot to come with his pathetic pawns. » Tu fronces les sourcils une seconde, et tes yeux quittent finalement les siens pour regarder ta blessure. Tu peines à prendre appuie sur ta jambe, et exagères à peine pour qu'il prenne pitié de toi. Quelques minutes de répit, quelques minutes pour trouver une solution de repli. Ta main libre vient se poser sur la coupure, comme pour empêcher le sang de couler davantage. « Would you allow me to stop the bleeding before taking me away, Batman? » Le ton est provocateur, presque condescendant. Et tu replonges dans ses yeux, encore. Tu avais toujours aimé t'y perdre, dans son regard. Tu essaies de le sonder, mais à cet instant, tu ne sais plus rien. Et si dans ton esprit, tu imagines déjà mille plans d’évasion, il est impossible de deviner les pensées impénétrables du Chevalier Noir; tu n'avais aucune façon de deviner ton destin, et devait te préparer à toutes éventualités.

I wanna love you but my hands are tied, I wanna stay here but I've been denied, let's watch the clock until the morning sun does rise

Pando