« Warren, Warren tu m’entends ? C’est l’hécatombe, une énorme fusillade à Park Row ! Envoyez des équipes, on a besoin de renforts ! Les blessés sont nombreux, on a pas le temps d’attendre que Batman vienne ! Black Mask a été aperçu dans ses quartiers, ça risque de repartir à tout moment, bougez-vous ! » Le dos de ta main vient balayer la table, brisant la radio sur le sol. Impossible. Tu fixes le vide, t'essaies d'y trouver une réponse. Tu n'as pas même remarqué que ton chat s'était enfuit dans une autre pièce, apeuré par les éclats de verre échoués sur le sol. Dans ta fureur, tu t’écorches, mais t’es bien trop en colère pour sentir quoi que ce soit. T’as juste envie d’hurler. Black Mask est mort. Tu l’as tué, Sel. Tes perles se noircissent alors que tes mains viennent se perdre dans tes cheveux ébène ; mort, mort, mort. Tu l’as vu, tu le sais. T’inventes rien, tu as tout vu. Tout entendu ; ses supplications, son dernier cri avant la chute. Personne n’aurait survécu. Il fallait que tu le retrouves, que tu mettes fin à cette mascarade. « Merde, merde, merde. » Tes poings frappent la table, manquent de faire tomber le cendrier qui a survécu à ta première attaque. Et bientôt, le manque d’air. L’angoisse remplissait tes poumons, polluait tes pensées. Depuis combien de temps tu n’avais pas respiré convenablement ? T’avais même plus à ravaler tes larmes, t’avais plus rien à cacher. Loin des tes tiens, parce que tu crevais de honte de te laisser ronger par la haine et la vengeance. Parce que tu crevais de peur pour eux, surtout. Peur qu’ils subissent la même barbarie que Maggie, le même vide dans le regard, le même mutisme. Ça hantait ton esprit, et les images s'y étaient immiscés comme des serpents. Tu passais tes nuits seule dans ton lit froid, tétanisée à l’idée de dormir et de revivre les cauchemars. Parfois, le cerveau tortueux inventait des nouveaux scénarios, et t’avais l’impression que tout était trop vrai. Les images se superposaient aux nombreux détails, jusqu’aux odeurs de fer, de sang, de poudre. Ta prison dorée te bouffait à petit feu, et le visage brisé de ta sœur te hantait comme une veilleuse sordide. C’était encré jusqu’au fond de tes pupilles, comme un tatouage bien trop douloureux. Tu crevais d’envie de rejoindre les bras chauds et rassurants de celui qui te faisait tout oublier. Oublie, Sel. Mais la raison t’en empêchait ; la peur, plutôt. Cette peur qui avait pris possession de ton quotidien, te rendant à nouveau orpheline. Tu pensais constamment aux autres, toi dont l’égoïsme et l’indépendance étaient autrefois une fierté. Tu avais changé, comme cette image insupportable que te renvoyaient les rares morceaux de miroir qui avaient survécu à tes colères. ...Il faut que ça cesse. T’avais fini par te lever d’une façon mécanique, comme si t’avais été programmée. Tes yeux puaient le vide, donnaient le vertige à ceux qui auraient pu plonger dedans. Il t’avait fallu quelques secondes pour enfiler le costume, nouer le fouet autour de ta taille amaigrie. Et puis une seconde d’hésitation, quand tes perles émeraudes s’étaient posées sur le beretta qui dépassait de ton oreiller. Une seconde, avant de le saisir et de disparaître dans les rues sombres de Gotham. Il était temps que la peur change de camp.

Park Row était d’un rare chaos. Tes yeux s’étaient arrondis devant le spectacle sordide qui se déroulait sous tes yeux. Les corps s’entassaient sur le sol ; t’aurais voulu te convaincre que ce n’était que des truands en moins pour Gotham. Tu avais profité de l’agitation pour te glisser dans le club avec une facilité déconcertante, sans même qu’un gorille ne t’attrape. Tu connaissais les quartiers de Sionis, tu t’y étais déjà infiltrée, plusieurs fois. Le bruit environnant couvrait tes pas, te laissant un accès à l’arrière-club sans trop de difficulté. Tu éliminais les sbires sur ton chemin sans le moindre sentiment, comme un soldat sur un champ de bataille. Et puis une caméra. Tu entends le bruit mécanique, tu sais qu’elle est braquée sur toi. « T'as trop peur de venir me chercher que tu te planques pour mieux me voir ? » Tu lâches un rire amer, avant de faire claquer ton fouet dans les airs pour arracher l’outil de surveillance. Tu te sais observée, il connaît déjà ta position. Mais tu n’as pas peur. Tu n’as peur de rien, pas même qu’il te trouve ; t’avances dans les couloirs avec une inconscience presque déconcertante. « Où tu t’es planqué, enfoiré… » Tu t’arrêtes une seconde. Devant toi, une pièce immense. Froide, presque dépourvue de meubles et de lumière, sordide. Seul un fauteuil semble trôner en son centre, et tes sourcils se froncent à l’idée que de nombreuses personnes y ont perdu la vie. Tu t’approches, scrutes tous les détails. « Rejoins-moi Black Mask ! Montre-moi que tu n’es pas aussi lâche que ton prédécesseur ! » Tu serres la mâchoire lorsque ta botte se pose dans une flaque de sang presque séché. « …Merde. » T’avais probablement vu juste. Garde ton calme, Sel. Tu continues de sonder à la pièce, à la recherche de potentielles armes qui pourraient te mettre dans une situation délicate. T'étais proche du but, tu le sentais. Tu savais aussi que l’immeuble était truffé de sbires de Black Mask, et tu refusais qu’une blessure entache tes chances de vengeance.

Et puis le noir. L'ampoule jaune au plafond te prive de lumière, tout comme le néon qui ne cessait de grésiller. Tu te retournes, regardes autour de toi. « Tu crois vraiment que ça m’impressionne ?! » Bien sûr, que tu as peur. Tu sais que l'obscurité est une bonne amie, elle a été ta compagne durant de nombreuses semaines. Mais au fond de toi, t'avais juste envie de retrouver un semblant de lumière. Un semblant de vie, un semblant de chaleur. Tu pestes contre ton ennemi, cherches sa présence par tous les moyens. Ton cœur veut sortir de ta poitrine, la main autour de ton arme ressert l’emprise. « Où tu te caches ? Montre-toi ! » Tu t'agaces, et sais que ce cinéma fait jubiler ton adversaire. Ton irritation, ta panique, ton impatience, et cette colère qui teinte ta voix. Par chance, tes lunettes t’offrent une vision nocturne plutôt claire. La technologie que t’avait offert Bruce était toujours efficace, si bien qu’il regrettait parfois que son utilisation ne soit pas uniquement pour œuvrer contre le mal. S'il savait. S'il savait que tu t'apprêtais à nouveau à franchir la limite. Tu t'étais souvent demandée s'il comprendrait ton choix, si c'était ce même sentiment qui l'avait animé lorsque le Joker avait arraché la vie à Jason. « La partie est terminée. » Tu siffles entre tes dents, la rage au bord des lèvres. Et tu finis par braquer le canon de ton arme sur l'ombre que t'indique tes lunettes thermiques. Ton cœur bat comme des tambours de guerre, t'en as les mains qui tremblent. « Je vais te faire regretter d’avoir choisi le mauvais masque. » Tu savais que tu tenais l'imposteur en joue, sa vie au bout de ton arme. Et bientôt, tu rendrais le sourire à Maggie.

There's no surrender & there's no escape.
Are we the hunters or are we the prey?
This is a wild game of survival.

Pando

Il voulait ce qui était en train de se passer dans son quartier. Sionis n'était pas idiot, loin de là même. Une guerre facilement gagnée sur son propre territoire lui permettait de faire un pas en avant dans un autre quartier de cette ville pourrie. Il avait fixé son objectif dès le début de sa carrière de criminel et il faudrait une balle entre ses deux yeux pour le faire déroger de cet objectif. Il créait des situations pour en sortir triomphant. Il calculait ses coups et s'assurait toujours d'en avoir quelques-uns d'avance sur ses rivaux les plus proches. Il acceptait de sacrifier ses pions pour la cause qu'il considérait comme bien plus importante que leurs lamentables vies. De temps en temps, il sortait sur le terrain afin de guider ses hommes, et ce soir-là était l'une de ces fois-là. Il voulait être vu, il voulait que les gens craignent l'obscurité de son masque autant que la légende qu'il était en train d'écrire pour sa propre personne. Avec son petit numéro dans les rues et son visage d'ébène aperçu ici et là, le gangster pouvait finalement regagner sa forteresse pour préparer la suite de son plan. Il avait déjà l'accord de Bane pour que son trafic reprenne de plus belle, et il tenait Dent grâce à des informations privilégiées. Il ne restait plus qu'à savoir qui serait le prochain sur sa liste.

Verre de scotch à la main, son regard était fixé sur la carte de Gotham qui servait de décoration dans son bureau. Les différentes zones étaient hachurées, et des numéros allant de un à quatre étaient également marqués sur la carte. Sionis avait établi ses priorités. Sans surprise, les docks étaient identifiés du numéro un, puis les autres numéros allaient selon leur proximité et leur facilité à être pris. Il ne servait à rien d'avoir le contrôle des côtes de la ville s'il n'avait pas une partie du centre. Il deviendrait une proie bien plus facile à coincer, et ce genre de stratégie lui aurait valu un échec qu'il ne saurait pas supporter. Non, Sionis savait qu'il devait avancer étape par étape, rue par rue.

Concentré sur la suite des choses, ses pupilles sombres s'arrêtèrent finalement sur les moniteurs qui se trouvaient près de lui. Un carnage était en train de se dérouler dans son établissement et c'est un sourire qu'il eut comme réaction. La folie était donc réellement en train de gagner les rues de Gotham. Des petits rires sadiques s'échappèrent de sa bouche lorsqu'il l'aperçut. Selina Kyle. Une âme vengeresse de plus qui voulait la tête de Roman. Un affrontement qui datait déjà. Une victoire en apparence pour la femme, mais la réalité était une chose bien différente. Persuadée d'avoir eu le roi noir, elle avait plutôt eu une pauvre imitation. Croyait-elle réellement qu'il était aussi dupe ? Il faut croire que oui. C'était elle qui avait commencé la partie, mais Roman avait vu clair dans son jeu. C'était d'ailleurs la sœur et l'amant de cette pauvre dernière qui avaient payé le prix pour la féline de Gotham. Souffrance et torture avaient mis le Black Mask au premier rang. Une ronde gagnée avant même qu'elle commence selon lui.

Autour de lui, tout s'était arrêté afin qu'il puisse se concentrer sur celle qui déambulait dans les corridors sombres. Pour dire vrai, il s'attendait à recevoir ce genre de visite suite à sa petite sortie publique. Il avait tout fait pour la briser, elle avait tout fait pour l'éliminer, et il faut croire qu'aucun des deux n'avait réellement obtenu un résultat favorable. Combien de temps allait-il attendre avant de l'affronter ? Lui seul le savait. Sionis prenait un malin plaisir à la regarder s'enfoncer dans son antre, à l'entendre hurler sa rage. Pas à pas, elle se dirigeait exactement là où il voulait l'avoir. Une pièce qui avait servi ô combien de fois à briser des âmes et qui servirait une fois de plus.

Un coup de téléphone le replaça une nouvelle fois face à sa rivale. Il n'allait pas se pointer le bout du nez tout de suite, non, cela rendrait tout moins plaisant. Un de ses sbires allait faire une partie du travail en incarnant la silhouette du Roi, pendant qu'il contrôlerait l'action depuis son bureau. L'arme fut finalement braquée dans les airs, signalant ainsi qu'il allait mettre son grain de sel. Un son brisé retentit dans les haut-parleurs dissimulés dans la pièce qui contenait la féline, puis le bruit se stabilisa, laissant entendre des cris de souffrance, puis des lamentations. « Pourquoi faites vous cela ? Nous n'avons aucune importance dans cette ville. » Roman savait pertinemment qu'elle reconnaîtrait la voix qui s'échappait des haut-parleurs. L'enregistrement s'arrêta subitement. « Catwoman. Tu pensais avoir pris le dessus sur le Roi noir de Gotham. Tu croyais avoir savouré ta vengeance pour la pauvre Maggie, mais en réalité, tu n'as fait que me donner le temps nécessaire pour préparer ce petit tour. Bienvenue dans la pièce où son sang a coulé. » Sa voix s'interrompit, laissant à nouveau place à l'enregistrement, lui permettant ainsi de savourer les images capter par les caméras.

À son tour, il se déplaçait dans l'obscurité, avançant vers sa cible qu'il avait déjà affaiblie d'une balle psychologique. Il connaissait l'endroit comme sa poche, ce qui lui avait permis de contourner habilement la pièce et d'arriver furtivement derrière sa proie. Calmement, il s'introduisit dans la pièce, s'approchant discrètement de l'héroïne. Les cris lui rappelaient des souvenirs. Quel bon moment il avait passé cette soirée-là, infligeant un revers indirect à celle qui avait tenté de le tromper. « Et si on ajoutait une petite surprise ? » Un léger rire s'échappa de sa bouche tandis qu'il enfonçait le bouton d'une petite télécommande qu'il venait de sortir de la poche de son veston blanc. La pièce, auparavant sombre, s'illumina soudainement tandis qu'une vidéo était projetée sur l'un des murs. Les cris qu'elle avait entendus plus tôt étaient maintenant accompagnés d'images. Roman profita de l'effet de surprise pour faire valser son adversaire contre le mur. « Bienvenue en enfer, Catwoman. »

CODAGE PAR AMATIS
AVATARS PAR Eden Memories& Paradise