into the deep
Au plus profond de la Fosse des Mariannes, les cavernes sous-marines se drapent de la pénombre la plus sombre, un manteau de nuit dans lequel aucune trace de vie, selon les gens de la surface, ne devrait jamais pouvoir être détectée. Collines et cavernes quasi-lunaires, silence palpable, un monde caché aux yeux de tous au cœur d’un autre monde, une poche qui n’appartient qu'à l'entité qui l’occupe, qui, seule, a conscience de son existence, et du Parlement qui y réside. Au plus profond de la Fosse des Mariannes, Naiad se repose, attend, laisse sa conscience vagabonder au gré des courants dans lesquels elle se fond jusqu'à ce que toute notion d'individualité ou d'identité ne disparaissent ; jusqu'à ce que le nom même de Naiad perde son sens dans l'immensité de l'océan.
Ah, si seulement elle pouvait vraiment s’y fondre, dans cette infinité bleue, y disparaître tout à fait, et laisser derrière elle ces derniers fragments d'humanité qui la rattachent à cette forme incertaine. Un jour, le Parlement des Vagues lui a-t-il promis, un jour qu’elle a osé leur poser la question. Un jour, l’avatar du Clear rejoindrait a son tour le Parlement, et laisserait sa place à un autre avatar, qui reprendra rôle et mission après elle dans un cycle éternel d'équilibre et de balance. En attendant, Naiad continue de veiller, vigilante, attentive…
Sa quiétude (trop rare pour ne pas être savourée) est perturbée, dérangée par ce qui ressemble a un frisson à la surface de sa conscience. Un dérangement léger, mais assez pour agiter l’esprit paranoïaque de la créature des eaux ; un ricochet à la surface de ses sens et de son esprit, un ressenti qui ne ressemble a rien de ce qu’elle a pu connaître depuis que Mai a péri dans les eaux, et Naiad vu le jour. Ce n’est pas la brûlure insupportable et corrosive que la surface lui inflige jour après jour après sa pollution ; ça n'est pas non plus le remous incessant des populations sous-marines, du plancton jusqu'à l'atlante.
Alors quoi ? Les yeux de Naiad s’ouvrent sur les ténèbres de la Fosse des Mariannes, et sa forme aquatique se délite de son nid, esprit déjà lancé à la recherche de l’origine de cette drôle de sensation. Naiad ne répond à aucune autorité autre que celle du Parlement des Vagues, et rares sont ceux, même sous la surface, à savoir qu’une nouvelle oceanide a vu le jour. Alors pourquoi ce sentiment tenace que quelque chose, quelque part, l’appelle ?
La tentation de la curiosité est trop forte. D’une impulsion de sa conscience, Naiad s’extrait de la Fosse des Mariannes, et se fond dans l'intangibilité des océans, ratissant chaque courant pour identifier la source de cette étrange pulsation dans laquelle elle trouve un écho familier. Enfin, son attention verrouille une localisation. Une autre impulsion est donnée ; et quelque part dans les eaux de l’Atlantique, Naiad se matérialise à nouveau, forme intangible au milieu de l'immensité aquatique, ses yeux immatériels cherchant l’endroit exact d'où provient ce qui l’appelle. Pendant quelques minutes encore, elle nage, dérive sans remous de relief rocheux en récif d’algues et de coraux ; jusqu'à, enfin, s'arrêter net dans sa progression.
Là.
C’est d’ici que vient l’appel.
D’ici, ou de celui qui se tient là, contemplant l’arme qu’il tient à bout de bras.
Immédiatement, la méfiance de Naiad atteint de nouvelles auteurs ; mais la curiosité, l’appel qu’elle entend plus insistant que jamais, prend le dessus.
“Cet objet dans tes mains.” Naiad interpelle l’inconnu sans ambages, se matérialisant à ses côtés dans un petit tourbillon de nulles, sa voix résonnant dans chaque particule d’eau autour d’eux ; ses yeux d'élémentaire rives sur le trident auquel l’inconnu s’agrippe.
“Il émet quelque chose. Je l’entends depuis les tréfonds du Parlement des Vagues.” poursuit-elle, comme si le pauvre homme sait forcément de quoi elle parle. Un hochement de menton, insistant, exigeant une réponse.
“Qu’est-ce que c’est ?”